Extrait de "Théorie de la dictature" :
Nous sommes dans une société surveillée où la parole, la présence, l'expression, la pensée, les idées, le déplacement sont traçables et repérables. De sorte que toutes les informations engrangées permettent l'instruction d'un dossier à destination du tribunal de la pensée.
Nous sommes dans une société surveillée où la parole, la présence, l'expression, la pensée, les idées, le déplacement sont traçables et repérables. De sorte que toutes les informations engrangées permettent l'instruction d'un dossier à destination du tribunal de la pensée.
Nous sommes archivés : par notre téléphone portable, qui est l'instrument nomade suprême de la servitude volontaire ; par notre ordinateur, qui est une variation connectée du premier instrument ; par les caméras de surveillance partout présentes, dans la rue, dans les parkings, dans les magasins, dans les immeubles, dans les dispositifs de filtrage, genre digicodes à caméra, aux entrées des domiciles ; par la domotique connectée, du type Alexa, qui installe ses micros dans les domiciles avec lesquels tout peut être entendu ; par le bornage de ces instruments nomades ; par les montres digitales elles aussi connectées qui auscultent les corps, les taux de sucres, de graisse, les battements cardiaques, les habitudes sportives, le sommeil, le nombre d'étages gravis, les comportements alimentaires ; par le suivi des usages de cartes à puce, de la carte bleue à la carte vitale, en passant par les cartes fidélité des commerçants ; par les radars et les caméras installés sur le réseau routier ; par les boîtiers d'audimat ; par les instituts de sondages ; par les plates-formes de téléphonie ; par les réseaux sociaux, plaie des plaies, dispositif d'exposition de soi dans tous les sens - on y exhibe en effet sans retenue ses achats de nourriture, la cuisine de cette nourriture, l'ingestion de cette nourriture, l'excrétion de cette nourriture, on y montre sans honte son corps, tatoué, bronzé, obèse, musclé, ridé, coiffé, rasé, bodybuildé, maquillé, habillé, dénudé, enceint, malade, blessé, on y expose sans pudeur ses avis, ses jugements, ses commentaires, ses réflexions, ses insultes, sa dilection, sa haine, on y met en plein jour sans forcément demander leur avis à ceux qu'on a croisés ici, là , ailleurs, dans un cadre privé ou intime, la trace ou la preuve de cette rencontre, on s'y exprime sur l'art contemporain, même si l'on ignore jusqu'au nom de Marcel Duchamp, sur la politique, même si l'on méconnaît le patronyme du premier ministre, sur la religion, même si l'on n'a jamais ouvert le talmud, la bible ou le coran, sur la cuisine d'un restaurant dans lequel on n'a jamais mis les pieds, sur un film qu'on n'a pas vu, un livre qu'on n'a pas lu, un pays qu'on n'a pas visité, un concert auquel on ne s'est pas rendu, sur la pensée d'un auteur dont on n'a lu aucun livre ; on y livre des photos, des selfies, des films de sa sexualité, solitaire, à deux ou à plusieurs, sinon avec son canari, on y multiplie les photos de ses anomaux domestiques, chiens et chats, pythons et rats, poissons rouges et lapin angora, rien n'échappe à cette mise en image de soi par soi pour les autres.
Cette surveillance est la plus aboutie qui soit, car aucun régime totalitaire n'aurait pu espérer mieux qu'un sujet qui, narcissisme et égotisme obligent, se fait l'indicateur de lui-même avec jubilation, satisfaction, ravissement et allégresse ! [...]
Toutes ses informations se trouvent agglutinées dans un nuage, le fameux i-cloud qui a remplacé les anges de ciel vide du dieu judéo-chrétien. C'est le coffre-fort dans lequel nous plaçons le larcin que nous commettons nous-mêmes de nos propres biens afin de l'offrir à nos voleurs. Nous nous cambriolons sans cesse au profit de qui nous dépouille pour mieux nous exploiter - à savoir le monde des GAFA, Google, Apple, Facebook, Amazon. Qui d'entre nous n'a jamais une seule donnée à ce béhémoth qui surclasse tous les léviathan totalitaires ?
Or, ce mondes des GAFA ne cache pas son projet réaliser le post-humain, dépasser l'homme, en finir avec cette vieille lune. Ce qui induit également l'abolition des civilisations et du Divers cher à Segalen, au profit d'un monde Un, uni unifié.
Les GAFA revendiquent une idéologie activée par une élite disposant d'un argent sans limites, donc du pouvoir absolu.
Ce capital de soi dormant constitue une banque de donnée gigantesque. La mise au point d'un ordinateur quantique permettra le jour venu le traitement de milliards d'informations dans le nouvel espace infime des nanosecondes. Cette vitesse fulgurante débouchera sur une authentique révolution.
Ces archives sont des briques ontologiques avec lesquelles peuvent se constituer des êtres nouveaux.
Dès à présent, on imagine des greffes de tête sur des corps acéphales, mais aussi des greffes de cerveaux dans des têtes, voire dans des corps donneurs. Des pontages neuronaux permettraient la viabilité de ces chimères.
Ce même cerveau peut être informé de façon artificielle. Des expériences en laboratoire permettent de donner à des souris le souvenir d'évènements qu'elles n'ont pas vécus. Cette maîtrise de la mémoire que je dirai négative, la mémoire de ce n'a pas été vécu, s'accompagne bien sûr d'une maîtrise de la mémoire positive, celle des choses vécues. Si l'on peut donner à un mammifère la souvenance du non-vécu, on peut tout aussi bien effacer sa souvenance du vécu. Ce cerveau plastique est donc une cire vierge sur laquelle on peut imprimer ou supprimer ce que l'on souhaite.
C'est à ce moment que les archives numérisées de ce que nous fûmes réapparaissent prélevées dans le nuage : nos conversations, leurs contenus, nos jugements, leurs mécanismes, nos préférences, nos goûts et dégoûts, le grain de nos voix, l'inflexion et le débit de notre parole, notre vitesse réactive, nos tics de langage et de pensée, tout ceci constitue une mémoire de ce qui a été vécu et qui peut être tout aussi bien engrammée dans un encéphale de substitution ou effacé d'icelui. Jamais le contrôle d'un être n'aura été plus abouti - avec sa complicité.
Ces archives sont des briques ontologiques avec lesquelles peuvent se constituer des êtres nouveaux.
Dès à présent, on imagine des greffes de tête sur des corps acéphales, mais aussi des greffes de cerveaux dans des têtes, voire dans des corps donneurs. Des pontages neuronaux permettraient la viabilité de ces chimères.
Ce même cerveau peut être informé de façon artificielle. Des expériences en laboratoire permettent de donner à des souris le souvenir d'évènements qu'elles n'ont pas vécus. Cette maîtrise de la mémoire que je dirai négative, la mémoire de ce n'a pas été vécu, s'accompagne bien sûr d'une maîtrise de la mémoire positive, celle des choses vécues. Si l'on peut donner à un mammifère la souvenance du non-vécu, on peut tout aussi bien effacer sa souvenance du vécu. Ce cerveau plastique est donc une cire vierge sur laquelle on peut imprimer ou supprimer ce que l'on souhaite.
C'est à ce moment que les archives numérisées de ce que nous fûmes réapparaissent prélevées dans le nuage : nos conversations, leurs contenus, nos jugements, leurs mécanismes, nos préférences, nos goûts et dégoûts, le grain de nos voix, l'inflexion et le débit de notre parole, notre vitesse réactive, nos tics de langage et de pensée, tout ceci constitue une mémoire de ce qui a été vécu et qui peut être tout aussi bien engrammée dans un encéphale de substitution ou effacé d'icelui. Jamais le contrôle d'un être n'aura été plus abouti - avec sa complicité.
Théoriquement on peut échapper au contrôle numérique : il suffit pour ce faire de ne pas s'équiper en matériel de contrôle ! Ni téléphone portable, ni ordinateur, ni carte à puce. Mais qui le peut pratiquement ? Car, depuis des décennies, sur prescriptions étatiques, administratives et sur admonestations sociétales, ces instruments sont devenus obligatoires pour accomplir la plupart des activités indispensables : communiquer, acheter, vendre, se déplacer, se nourrir, se vêtir, manger, dormir, se soigner, s'informer, déclarer ses revenus et payer ses impôts... On peur économiser une inscription sur les réseaux sociaux, mais qui peut voyager en train ou en avion, se déplacer en taxi, payer un repas ou de la nourriture dans un restaurant, dans un magasin, aller chez le médecin, puis le pharmacien, se faire hospitaliser sans avoir au préalable activé ses cartes policières ? Personne.
Cette entreprise de contrôle généralisé n'a évidemment pas été présentée comme telle, pareil cynisme aurait été contre-productif et générateur de résistances, mais comme un signe de progrès, donc de progressisme, une preuve de modernité, donc de modernisme. Quiconque résistait se trouvait alors stigmatisé comme dépassé, vieux jeu, rétrograde, conservateur, réactionnaire. Or, qui voudrait passer pour un arriéré ? sinon pour un ennemi du genre humain...
Quand des chercheurs travaillent à créer des souvenirs de choses non vécues chez des animaux, bien sûr qu'ils ne vont pas avouer qu'ils travaillent à l'avènement du post-humain. Ils présentent cette entreprise sous de belles et franches couleurs humanistes et généreuses, bienveillantes et philanthropiques : ils cherchent à régler le problème de la maladie d’Alzheimer, ils veulent éradiquer la maladie de Parkinson, ils entendent améliorer la qualité de vie des vieux et des très vieux que chacun de nous sera, ils pensent à nos anciens, à nos parents, à nos grands-parents et à nous plus tard... Rien que de très louable !
Mais qui décidera de ceux qui bénéficieront de ces augmentations d'être ? Selon quels critères ? Qui profitera des dons d'organes ? Qui sera transformé en banque de ces organes à prélever, à conserver, à augmenter, à distribuer ? Qui sera le receveur et qui le donneur ? Qui dirigera ce projet ? Et au nom de quels idéaux ? Pour quels profits ? Qui paiera ?
Quand des chercheurs travaillent à créer des souvenirs de choses non vécues chez des animaux, bien sûr qu'ils ne vont pas avouer qu'ils travaillent à l'avènement du post-humain. Ils présentent cette entreprise sous de belles et franches couleurs humanistes et généreuses, bienveillantes et philanthropiques : ils cherchent à régler le problème de la maladie d’Alzheimer, ils veulent éradiquer la maladie de Parkinson, ils entendent améliorer la qualité de vie des vieux et des très vieux que chacun de nous sera, ils pensent à nos anciens, à nos parents, à nos grands-parents et à nous plus tard... Rien que de très louable !
Mais qui décidera de ceux qui bénéficieront de ces augmentations d'être ? Selon quels critères ? Qui profitera des dons d'organes ? Qui sera transformé en banque de ces organes à prélever, à conserver, à augmenter, à distribuer ? Qui sera le receveur et qui le donneur ? Qui dirigera ce projet ? Et au nom de quels idéaux ? Pour quels profits ? Qui paiera ?
Le devenir peau de chagrin de la liberté s'accompagne d'un devenir peau de chagrin de l'égalité et la fraternité. Chacun le voit bien. Dans une société comme celle qu'on nous prépare et dont on vit les premiers temps, le projet est clairement élitiste, élitaire, aristocratique, autrement dit fondamentalement opposé à la démocratie et à la république - la chose publique.
Jamais aucune société, sauf peut-être celles des tribus primitives, n'a connu pareille organisation pyramidale. C'est dire combien ce progrès est un regrès, ce progressisme une régression. On trouvera à son sommet une petite poignée de privilégiés qui bénéficieront de ce post-humanisme pendant qu'à la base une multitude subira cette loi. Cette nouvelle paupérisation transformera ces nouveaux esclaves, ces nouveaux plébéiens, ces nouveaux serfs, ces nouveaux prolétaires, en un immense réservoir de pièces de rechange ontologique. L'intelligence collective sera confisquée par une meute disposant des pleins pouvoirs.
Nous nous dirigeons vers une société égyptienne avec une élite de scribes qui saura lire, écrire, compter et qui fonctionnera de concert avec la caste des prêtes qui elle-même sera au service de nouveaux pharaons dont la religion païenne aura pour dieu le post-humain et pour culte le transhumanisme. D'où l'intérêt de détruire la langue pour en réserver la connaissance et l'usage à une élite.